Accord Vatican-Kouchner : une analyse de la décision du Conseil d’État

vendredi 6 août 2010


Le 9 juillet dernier, le Conseil d’État a rejeté les recours intentés contre le protocole dit Vatican-Kouchner. La plus haute juridiction administrative, compte tenu de la nature des questions juridiques, du nombre important de recours (12 recours dont, fait notable, un déposé par un groupe parlementaire) et de l’enjeu, a délibéré en assemblée du contentieux, sous la présidence du vice-président du Conseil d’État et non dans la forme habituelle.

Le rejet du recours repose sur un élément de fond : le protocole Vatican-Kouchner a été publié par décret ; de fait, la loi n’a pas été modifiée. Les arguments, développés par le gouvernement dans ses mémoires, a un effet boomerang : le protocole ne s’applique que dans le cadre et les limites de la loi française, en excluant en particulier toute notion d’automaticité.

En revanche, si le Conseil d’État estime que « l’accord et son protocole additionnel ne comportent aucune stipulation permettant qu’un culte soit salarié ou subventionné.. », il admet que le Saint-Siège (le Vatican en tant qu’État souverain et non puissance spirituelle) puisse agréer des établissements privés d’enseignement supérieur y compris en France.

L’arrêt du Conseil d’État traite de la validité du processus de ratification, intervenu en vertu d’un décret et non d’une loi. Il énonce d’abord les termes de l’accord (reconnaissance mutuelle des grades ou diplômes pour l’accès à des études de même niveau (en cours du cursus de licence ou master, par exemple) ou de niveau supérieur (accès au master ou au doctorat, par exemple).
Il rappelle également qu’aux termes de l’article L.613-1 du Code de l’éducation, l’État a le monopole de la collation des grades et titres universitaires. Il considère que « les stipulations de l’article 2 du protocole additionnel (les équivalences respectives de titres ou grades), qui sont de caractère informatif, n’édictent pas d’obligations particulières à l’égard des établissements d’enseignement supérieur public. Il en découle que la reconnaissance d’un « diplôme ecclésiastique » est de la compétence des autorités de l’établissement qui doivent tenir compte à la fois de l’équivalence de diplôme édictée par le protocole, mais aussi « de l’aptitude du candidat à suivre des enseignements dans le grade et la formation postulées ».

Le Conseil d’État rappelle enfin que les établissements d’enseignement supérieur privé ne peuvent délivrer des diplômes nationaux « et ne permettent pas aux bénéficiaires de titres délivrés par les établissements d’enseignement supérieur privés ayant reçu une habilitation par le Saint-Siège à se prévaloir, de ce seul fait, des droits attachés à la possession d’un diplôme national ou d’un grade universitaire. ».
L’arrêt du Conseil d’État — s’il reconnaît la valeur d’une référence aux équivalences de niveau , ne déroge pas pour autant aux règles habituelles des validations (des équivalences, aurait-on dit en d’autres temps) ni de la collation des grades. Il écarte en particulier de manière explicite l’accréditation d’établissements d’enseignement supérieur privé par le Saint-Siège (on peut penser aux instituts et facultés libres catholiques du territoire français) comme moyen de contournement du monopole de la collation des grades universitaires par l’État.
Le Juge administratif suprême répond positivement à l’argumentation gouvernementale selon laquelle il n’y avait pas lieu de faire ratifier le protocole par la loi. Ce faisant, il y a un effet boomerang pour l’enseignement supérieur privé (et les établissements, où qu’ils soient, qui seraient agréés par le Saint-Siège) : l’accord ne s’applique que dans le cadre et les limites des dispositions législatives nationales existantes.
Toute « automaticité » est donc exclue et le rôle des établissements, conforme au principe d’autonomie universitaire mais que l’accord aurait pu remettre en cause, est ici rappelé. Le protocole Vatican-Kouchner est donc — parce qu’il y a eu des recours et que le Conseil d’État a eu à en connaître — strictement encadré par la jurisprudence.

Le Conseil d’État rappelle d’emblée que « les établissements d’enseignement supérieur privés ne peuvent en aucun cas prendre le titre d’université. Les certificats d’études qu’ils jugent à propos de décerner aux élèves ne peuvent porter les titres de baccalauréat, de licence ou de doctorat » (art. L.731-14 du Code de l’éducation).
Le Juge administratif estime que « la circonstance que l’accord et le protocole publiés par le décret attaqué, qui ne portent pas exclusivement sur des établissements situés en France, mentionnent les termes d’université catholique, n’a pas pour effet d’instituer, au bénéfice d’établissements d’enseignement supérieur privés implantés sur le territoire national une dérogation à ces dispositions législatives qui les autoriseraient à faire usage de la dénomination d’université. »

Certes, les instituts catholiques établis en France ne trouvent aucun privilège, mais, contrairement à l’analyse formelle du Conseil d’État, la dualité de l’État du Vatican (État relevant du droit international public mais dont le chef d’État est, par nature et fonction, le chef spirituelle d’une Église), les choses s’avèrent plus complexes.
Cependant le Conseil d’État mentionne « une liste des institutions ainsi que des grades et diplômes concernés sera élaborée par la Congrégation pour l’Éducation catholique, régulièrement tenue à jour et communiquée aux Autorités françaises » . Le Vatican, État théocratique, ne fait pas de distinction entre ses structures « de souveraineté » et ses structures « d’Église ». Il n’en demeure pas moins que la « Congrégation pour l’éducation catholique » est sans contestation possible une structure ecclésiale.
Rien ne justifiait, comme l’indique pourtant explicitement l’arrêt du Conseil d’État, l’exclusion du champ de l’agrément du Saint-Siège (en tant que puissance diplomatique) :

  • des établissements supérieurs privés installés sur le sol national et relevant du droit national ;
  • des établissements d’enseignement supérieur d’États souverains tiers, au minimum dès lors qu’ils sont liés par des accords de même nature avec la République française.

La question pourrait se poser dès lors du financement public (dans le cadre légal existant) d’établissements privés d’enseignement supérieur situés en France mais bénéficiant d’une exorbitante clause d’extra-territorialité par agrément papal ! Rien ne justifierait en effet qu’on limitât un tel bénéfice à une seule religion (ou un seul État doté du privilège d’agréer des établissements relevant pourtant du droit national français). Imaginerait-on un accord avec un État comme le Maroc dont le souverain est à la fois chef de l’État et chef religieux (sultan dont la famille descend d’un cousin du prophète Mahomet) qui ne fût pas borné aux seules universités marocaines (mais pourrait-on justifier, après le précédent actuel avec le Vatican, l’impossibilité d’agréments jusque sur le territoire français ? ).

 [1]

 Quelles conséquences concrètes dans, par exemple la mise en place des masters dans les instituts catholiques ?

  • Les Instituts Catho ne peuvent prendre le titre d’université, le rappel à la loi sera peut-être plus efficace que l’existence simple de la loi...
  • Les titres, notamment les masters, devront avoir reçu l’agrément de l’Université : à tous ceux qui y travaillent ou ont accès à l’information de veiller au respect des programmes ayant reçu agrément...

En effet, par le biais de la disparition des IUFM, l’Enseignement catho peut prétendre à de nouveaux subsides publics via la mise en place des masters dans les Instituts catholiques, soulevant nos questions et inquiétudes :

  • Faudrait-il avoir un master catho pour obtenir le « préaccord collégial » que nous dénonçons régulièrement comme instaurant une discrimination à l’embauche dans une opacité rendant les faits quasiment impossible à prouver ?
  • Mais les masters catho pourront-ils valider les concours public de recrutement ?

 Et le financement public ?

Le Conseil d’État permet donc, par le rejet des recours, tout en restant dans l’application du Code de l’Éducation, de financer non seulement les établissements supérieurs privés existant, mais d’en financer de nouveaux, bénéficiant de la clause d’extra-territorialité par agrément papal, au détriment de l’État souverain ! Quand on pense aux difficultés encore rencontrées pour la reconnaissance de titres de pays européens...

 Annexes (Code de l’éducation)

Article L141-6. — Laïcité de l’enseignement supérieur public
Le service public de l’enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ; il tend à l’objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions. Il doit garantir à l’enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique.

Article L613-1.— Collation des grades
L’État a le monopole de la collation des grades et des titres universitaires.
Les diplômes nationaux délivrés par les établissements sont ceux qui confèrent l’un des grades ou titres universitaires dont la liste est établie par décret pris sur avis du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche. Sous réserve des dispositions des articles L. 613-3 et L. 613-4 (12) , ils ne peuvent être délivrés qu’au vu des résultats du contrôle des connaissances et des aptitudes appréciés par les établissements habilités à cet effet par le ministre chargé de l’enseignement supérieur après avis du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche. Un diplôme national confère les mêmes droits à tous ses titulaires, quel que soit l’établissement qui l’a délivré. […]
Seuls peuvent participer aux jurys et être présents aux délibérations des enseignants-chercheurs, des enseignants, des chercheurs ou, dans des conditions et selon des modalités prévues par voie réglementaire, des personnalités qualifiées ayant contribué aux enseignements, ou choisies, en raison de leurs compétences, sur proposition des personnels chargés de l’enseignement.

Article L613-7. — Certifications pour l’enseignement supérieur privé
Les conventions conclues, en application des dispositions de l’article L. 719-10 (13), entre des établissements d’enseignement supérieur privé et des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel peuvent, notamment, avoir pour objet de permettre aux étudiants des établissements privés de subir les contrôles nécessaires à l’obtention d’un diplôme national. Si, au 1er janvier de l’année universitaire en cours, aucun accord n’a été conclu sur ce point, le recteur chancelier arrête, à cette date, les conditions dans lesquelles sont contrôlées les connaissances et aptitudes des étudiants d’établissements d’enseignement supérieur privés qui poursuivent des études conduisant à des diplômes nationaux.

Article L731-14. — Monopoles d’appellations du titre d’université et des titres universitaires.
Les établissements d’enseignement supérieur privés ne peuvent en aucun cas prendre le titre d’universités. Les certificats d’études qu’on y juge à propos de décerner aux élèves ne peuvent porter les titres de baccalauréat, de licence ou de doctorat. Le fait, pour le responsable d’un établissement de donner à celui-ci le titre d’université ou de faire décerner des certificats portant le titre de baccalauréat, de licence ou de doctorat, est puni de 30 000 euros d’amende.


[1source LDH, Ligue de l’enseignement, UNSA Education, Mediapart