Infirmières, soignantes, caissières : « C’est une bande de femmes qui fait tenir la société »

samedi 9 mai 2020


Elles sont très majoritaires dans ces métiers peu valorisés et rémunérés. La photographe Florence Brochoire les a suivies.
Article du journal, Le Monde, 08 mai 2020

« Infirmières, aides-soignantes, caissières, enseignantes, aides à la personne, personnel de nettoyage : c’est une bande de femmes qui fait tenir la société ! », soulignait l’ancienne ministre de la justice, Christiane Taubira, le 13 avril, sur France Inter.

Il n’est pas vain de le rappeler, les femmes représentent 91 % des aides-soignants, 83 % des enseignants du premier degré, 90 % du personnel des Ehpad, 90 % des caissiers et 97 % des aides à domicile. Des métiers souvent peu reconnus à leur juste valeur, tant sur le plan financier que social, mais plus que jamais apparus comme essentiels aux yeux du public en cette période de crise du Covid-19.

En plus d’être largement majoritaires dans ces métiers peu considérés et peu rémunérés, les femmes sont également celles qui, au sein des foyers, continuent de porter une large part des tâches ménagères et du suivi de la scolarité. De fortes inégalités de genre qui ont été exacerbées par le confinement : selon un sondage de l’institut Harris Interactive, réalisé les 8 et 9 avril pour le secrétariat d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes, 58 % des femmes en couple estiment assurer la majorité des tâches ménagères et éducatives.
Durant plusieurs semaines, la photographe Florence Brochoire a suivi une dizaine de femmes dans leur quotidien, en Seine-Maritime, dont Elsa, Isabelle, Kelly, Aude, Manou, Marie et Amélie.

Elsa Rousseau, 22 ans, aide à domicile à Rouen

« Mes parents étaient tous les deux dans le social, je suis tombée dedans quand j’étais toute petite. Au départ, je voulais travailler avec des enfants polyhandicapés. J’ai passé un diplôme d’éducatrice spécialisée. Mais à la fin de ma formation, je ne me suis pas sentie prête tout de suite à travailler avec les enfants. Comme aide à domicile, je gagne le smic (1 500 euros brut). J’ai un contrat de soixante-dix heures sur quinze jours. Je suis sécurisée par ce contrat, d’autres n’ont même pas cela. »

Isabelle Privé, 45 ans, institutrice à Bihorel

« Habituellement, l’école accueille 180 enfants. Actuellement, elle continue de scolariser uniquement les enfants de soignants qui travaillent. Aujourd’hui, nous avons sept élèves, mais ça varie, le maximum étant de dix pour deux adultes. La directrice est présente tous les jours, moi, je viens un jour par semaine et j’assure les contenus à distance pour ma classe de CE1 le reste du temps. Toutes les enseignantes de l’école se sont spontanément portées volontaires, quatre ont été retenues. Si on commence à penser à une contagion possible, on s’angoisse et on angoisse son entourage. Je travaille en contact avec des enfants et des adultes, mon mari aussi. Si ça arrive, ça arrive… mais y penser tout le temps, ce serait invivable. »

Manou Fondard, 74 ans, bénévole à Amfreville-la-Mivoie

Anciennement institutrice, Manou Fondard s’est engagée dans sa jeunesse à la Confédération syndicale des familles. Depuis, elle n’a jamais cessé de militer pour les droits des familles et l’entraide. Les masques, la banque alimentaire… c’est le prolongement.

« On en a marre d’entendre qu’il faut qu’on reste chez nous, d’être mis au rebut parce que soi-disant on est vieux et à la retraite. Nous, on ne se sent ni vieilles ni à risque. Par contre, on prend toutes les précautions. »

Kelly Quertier, 26 ans, sage-femme à Saint-Aubin-lès-Elbeuf

« Je ne sais pourquoi j’ai voulu être sage-femme, mais c’est ce que j’ai toujours voulu faire. Par contre, je n’imaginais pas qu’il y avait autant de complications possibles. Ça, je l’ai découvert sur le terrain. L’ambiance est quand même particulière, en cette période. C’était surtout tendu au début parce qu’on nous disait que la vague allait arriver. Donc on l’attendait. Et puis, finalement, il n’y a pas vraiment eu de vague. Les protocoles n’arrêtaient pas de changer. A la déclaration du confinement, les papas n’avaient plus le droit de venir, même en salle de naissance. Les premières fois qu’il a fallu interdire l’accès, ça n’a pas du tout été accepté. Cela n’a duré que vingt-quatre heures, heureusement. Après, ils ont de nouveau été autorisés en salle de naissance. Cependant, ils ne peuvent toujours pas rester pendant le temps d’hospitalisation des mamans. »

Amélie François, 38 ans, hôtesse de caisse en supermarché

« J’avais commencé un BTS d’assistante de direction, et puis j’ai fait un stage ici quand j’étais en première année. J’ai finalement arrêté le BTS pour continuer à travailler là. Ça fait dix-huit ans. Après l’annonce de la fermeture des écoles, le vendredi et le week-end qui ont suivi, c’était la folie. Les gens se sont rués au supermarché pour faire des caddies jusqu’à 400 euros. Puis ça s’est un peu calmé, mais globalement les clients viennent moins souvent et font plus de courses quand ils viennent. Sauf les retraités, qui n’ont pas vraiment changé leurs habitudes. »

Aude Pambou, 40 ans, aide-soignante en Ehpad à Sotteville-lès-Rouen

Originaire du Congo, Aude a eu son diplôme d’infirmière, là-bas, en 2001. Son père, qui travaillait à l’OMS, la voyait puéricultrice. Elle a des jumelles de 12 ans et un garçon de 6 ans, que sa sœur garde pendant qu’elle travaille.

« Pour moi, s’occuper de personnes âgées, c’est une vocation. J’ai été élevée dans une famille nombreuse et religieuse, donc s’occuper des autres, et en particulier des aînés, c’est important. En ce moment, les résidents sont perturbés parce que les visites sont interdites depuis le 17 mars et qu’ils ne vont plus manger au restaurant, ils mangent seuls en chambre. C’est difficile pour eux. »

Marie Delafontaine, 39 ans, responsable de la vie étudiante de l’université Rouen, en télétravail à Montville

« J’ai deux enfants, Louise, 7 ans, et William, 3 ans. Je suis en télétravail depuis le début, dès la fermeture des écoles et des universités. L’université de Rouen-Normandie, ça représente 2 500 personnes. Donc l’organisation à distance est très lourde à mettre en place. En ce moment, j’ai encore plus de travail qu’avant. Comme je m’occupe des étudiants et que plus de 50 % sont bloqués en résidence universitaire, notamment les étudiants étrangers qui n’ont pas pu rentrer chez eux, les difficultés sont nombreuses. Les petits boulots qui les faisaient vivre sont arrêtés et certains se retrouvent sans job et sans argent. Parfois je reçois des e-mails d’étudiants qui me disent qu’ils n’ont pas mangé depuis trois jours ou qu’ils sont désespérés. Du coup, fermer mon ordinateur à 17 h 30 et passer à autre chose, je ne peux pas. Là, aujourd’hui, j’ai encore 360 e-mails en attente. »