ANALYSE Retraites : Edouard Philippe s’obstine

jeudi 12 décembre 2019


écrit par HENRI STERDYNIAK, in Alternatives Economiques le 11/12/2019

Selon l’économiste Henri Sterdyniak, les concessions annoncées par Edouard Philippe ne sont que de pure forme.

Comme on pouvait s’y attendre, Emmanuel Macron et son gouvernement s’obstinent face à la colère et à la mobilisation de la masse des citoyens de notre pays. Les mesures annoncées par Edouard Philippe ce mercredi n’ont qu’un but : affaiblir le mouvement social qui monte face à une réforme qui baisse les pensions, retarde les départs à la retraite et fragilise le système de retraite.

Diviser pour mieux réformer

Pour briser la solidarité entre générations, le Premier ministre n’hésite pas à partager les actifs en trois. Il y a d’un côté les jeunes (nés après 2004) à qui la réforme s’appliquerait dès 2022, lorsque les premiers concernés atteindront l’âge de 18 ans. De l’autre, on trouve les personnes nées avant 1975, qui ne seraient donc pas concernées par la réforme. Entre ces deux générations, les personnes d’âge intermédiaire qui prendront leur retraite après 2037 (où ils commenceront à atteindre les 62 ans) auraient une pension calculée en partie selon les nouvelles règles, en partie selon les anciennes.

Dans ce schéma, les anciens régimes et le nouveau vont devoir cohabiter jusqu’en 2037. Ainsi, pendant quinze ans, les régimes actuels vont être de plus en plus déficitaires, perdant les cotisations des entrants, qui tomberont progressivement dans la main de l’Etat. Mais comment donc seront garantis les droits des salariés et retraités dans les anciens systèmes durant les années de transition jusqu’en 2037 ?

Interrogations sur le point

Edouard Philippe ne s’est pas engagé clairement à ce que la valeur du point d’achat augmente bien comme le salaire moyen. Il s’est contenté de garantir qu’elle augmentera plus que les prix. L’indexation sur les salaires ne se fera que progressivement. Aucune garantie n’a été donnée sur le taux de rendement (les 5,5 % à 64 ans, évoqué par le rapport Delevoye, soit 55 centimes de retraite annuelle pour 10 euros cotisés). Toutes les manipulations seront donc possibles, d’autant que les premières pensions versées selon ces règles ne le seront qu’en 2027 (pour certaines catégories de fonctionnaires pouvant partir à 52 ans).

Le minimum contributif de 1 000 euros serait mis en application dès 2021. Faut-il rappeler qu’il est déjà de 967 euros pour la masse des salariés du privé, qu’il devrait être de 85 % du Smic, soit 1 023 euros selon la loi de 2003 ? Que c’est la majorité actuelle qui a refusé qu’elle s’applique dès 2019 aux agriculteurs ? que ces 1 000 euros ne s’appliqueront qu’à 64 ans pour une carrière de 43 ans ? Et qu’enfin la garantie de 85 % du Smic ne s’applique qu’au moment du départ et non tout au long de la retraite ?

Déficit imaginaire et ressources fantômes

Le Premier ministre dit renoncer à prendre des mesures d’urgence pour équilibrer le déficit imaginaire des régimes de retraite. Il prétend confier cette responsabilité aux partenaires sociaux dès 2021. Le précédent de l’assurance chômage est à cet égard édifiant : à n’en pas douter, le gouvernement tiendra les rênes pour imposer ses vues. Et celles-ci sont connues. Les partenaires sociaux devront faire passer progressivement l’âge du départ à taux plein à 64 ans en introduisant très vite une décote entre 62 et 64 ans, de sorte que tous les actifs actuels seront atteints : ils devront choisir entre travailler deux ans de plus ou subir cette décote.

Par ailleurs, le gouvernement ne donne aucune garantie sur les ressources du système. On a vu qu’il peut les manipuler à sa guise, en ne compensant plus les exonérations de cotisations sociales, ou en réduisant les cotisations pour les fonctionnaires. La possibilité d’augmenter les ressources (par exemple par une hausse des taux de cotisation) n’est pas évoquée.

Femmes, enseignants : une réforme sans garanties

Le chef du gouvernement a annoncé un léger recul sur la majoration pour enfant élevé, qui serait augmentée de 2 % à partir du 3e enfant. Mais les couples devront toujours faire un choix entre une majoration élevée pour le parent à forte retraite et une majoration faible pour l’autre (la mère généralement). Et contrairement à ce que martèle la propagande du gouvernement, ce seront les femmes à carrière heurtée qui seront le plus touchées par le passage à un système plus contributif. Toute heure non travaillée se répercutera sur la retraite.

Les mesures de compensation de la pénibilité du travail restent très limitées. Le départ pourra être au mieux avancé de deux ans, avec un dispositif individuel, compliqué (le compte professionnel de prévention ou C2P) qui ne monte que très lentement en puissance.

Même constat pour les promesses faites aux enseignants et autres fonctionnaires à faibles niveaux de prime. Le gouvernement ne semble pas disposé à dégager les 15 milliards d’euros nécessaires pour que leurs pensions ne baissent pas. Pire, ces faibles compensations seraient accordées sous forme de primes conditionnées à une hausse de la durée du travail. Comme si les enseignants ne faisaient pas déjà des journées pleines !

Enfin, les non-salariés pourront converger en quinze ans. Là encore, on ne peut que s’inquiéter de la promesse du gouvernement de réduire l’assiette de leur CSG et de leurs cotisations sociales, au détriment encore une fois des ressources de la Sécurité sociale.

Deux points frappent à l’écoute du discours d’Edouard Philippe. D’une part, il est obligé d’avancer masqué, de rappeler l’attachement des Français à la Sécurité sociale et à la retraite par répartition. D’autre part, il annonce une réforme compliquée, difficilement gérable, dont tout indique clairement qu’elle va abîmer notre système de retraite.

Henri Sterdyniak est économiste, conseiller scientifique à l’OFCE et membre des Economistes atterrés.

cf. Au sujet du déficit imaginaire ou comment démontrer que le système est déficitaire...
https://www.alternatives-economiques.fr/rapport-cor-un-deficit-construit-de-toutes-pieces/00090987

cf. Au sujet de l’allocation chômage
https://www.alternatives-economiques.fr/contrats-courts-negociation-impossible/00088404

cf. au sujet des femmes
https://www.alternatives-economiques.fr/reforme-retraites-femmes-ne-forcement-y-gagner/00091200

cf. Au sujet de la pénibilité au travail
https://www.alternatives-economiques.fr/penibilite-angle-mort-reformes-retraites/00090668